tears don't fall / bobby

Les rues de Brooklyn ne finissaient pas de se suivre, les unes après les autres, malgré le pas rapide du russe. Il ne s'était même pas attardé dix minutes de plus pour reprendre les commandes de café, au moins celui de Bobby. Non, il n'avait pas pu rester une seconde de plus dans ou devant ce salon de thé de misère qui l'avait amené à croiser le chemin de Wade. Cela faisait des jours qu'il évitait ce dernier, et pour cause, il n'avait pas voulu faire d'effusion, créer le drama, se prendre la langue acérée de son ami en pleine figure. Mais finalement, force était de constater que cela serait arrivée, tôt ou tard, et que tout ceci était maintenant derrière lui. Alors pourquoi se presser ? Pourquoi fuir le lieu comme la peste et rentrer au bercail les muscles sous tension ? Piotr n'avait pas pu s'empêcher d'extérioriser sa colère puis Wade de critiquer sa manière d'être, tout ceci avait eu des retombées sur le moral du duo, et le colosse était à présent plus fâché contre lui-même que contre l'anti-héros.
Il essaya de tout enfouir sur le chemin du retour, conscient que ça le rendra encore plus grognon que d'habitude. Mais il ne voulait pas montrer ses faiblesses au grand public, pas même à Bobby même s'ils partageaient une amitié platonique depuis des années. Il était comme ça et nourrissait une ambiguïté de taille : il ne parlait que très peu de ses sentiments, mais attendait des autres qu'ils soient un livre ouvert. Alors quand le panier était trop rempli, évidemment il craquait. Piotr ne semblait pas en être arrivé jusqu'à là, mais le clash avec Wade était encore frais dans sa mémoire, et le déstabilisait complètement.
Lorsqu'il entra dans l'appartement avec nonchalance, il jeta sa veste kaki sur le porte-manteau déjà plein à craquer, et traversa le salon pour rejoindre la cuisine où la cafetière les sauverait tous les deux. Bobby était évidemment là et le russe avait déjà trouvé quoi lui dire pour justifier l'absence de leurs commandes. « Re. Désolé Bob', j'ai renversé les cafés comme un con. » Pour ce qui était de s'insulter, il ne prenait jamais de gants. Vraiment, il espérait que son ami ne lui en prendrait pas rigueur, et il était prêt à lui faire un café frappé fait maison s'il le désirait vraiment. Il lui suffirait juste d'attraper deux/trois glaçons au frais et mettre le tout dans un shaker. « Bon, elle va s'ouvrir cette cafetière ? » Avec un peu plus de force, elle aurait bien pété en morceaux dans ses mains, mais à peine s'énervait-il contre l'engin que ce dernier s'ouvrit, comme par magie. Piotr leva des yeux, de mauvaise humeur, et maugréa un "évidemment" dans sa barbe, comme si tout se liait envers et contre lui ce matin. S'il avait su ce qui l'aurait attendu, il ne se serait pas levé du lit confortable que lui prête Bobby. Une fois le café moulu piètrement versé dans le filtre et la machine en marche, le colosse se retourna pour attendre en se passant une main sur son visage tendu.
C'est officiel, c'est ma journée de merde.