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On commence à vous fixer, vous jeter des regards intempestifs ou à pouffer de rire devant votre scène de ménage en plein salon de thé. Heureusement, on ne vous reconnait pas, Wade grâce à son costume, toi grâce à ta transformation, sinon vous seriez déjà en vidéo {#}tendances{/#} sur Instagram et Snapchat. Mais, les passants ont beau ne pas se priver de votre petite conversation, vous ne leur prêtez pas la même attention. C'est dans les yeux et le visage de l'un et de l'autre que vous vous plongez sans vraiment remonter de temps à autre pour reprendre souffle. Le monde autour de vous n'est plus qu'un vaste voile où des ombres bougent dans le coin de vos prunelles, et des voix s'étouffent dans les tréfonds de vos tympans. Rien n'est plus vital et important que vous deux et les émotions qui parcourent à cet instant votre corps.
Toi, Piotr, tu as l'impression de brûler sur place tellement la colère, l'indignation, la peur et la tristesse infusent chaque parcelle de tes tissus organiques, allant jusqu'à recouvrir involontairement ces derniers du métal organique. Les boissons que tu as commandé il y a, à peine, quelques minutes sont à présent inconsommable, et pour cause tes poings les renferment avec une certaine tension palpable. Wade dit des choses avec lesquelles tu ne peux pas compatir et comprendre. Cela ne t'arrive pas souvent, toi qui cherche toujours un moyen pour être le plus civilisé, le moins intrusif. A croire que ton ancien meilleur ami vient de dépasser la limite, du moins c'est ce que tu tends à argumenter à chaque fois que tu penses à cette nuit passée dans ses draps. A vrai dire, tu n'en connais pas toutes les nuances, le flou s'étant installé dans les méandres de ta matière grise. Tu avais bu ce soir là, beaucoup, et l'alcool avait réussi à t'inhiber totalement. Mais le lendemain, une chose était sûre, tu ne voulais pas affronter Wade, ton ami, ni ne voulais te confronter à ta propre moral. Alors tu en as conclu qu'il s'était jeté sur toi en premier, comme il le fait souvent à ses nombreuses conquêtes sans grand intérêt. Tu le vis depuis comme une trahison de sa part, qu'elle concerne tes idéaux (que tu lui as partagé de nombreuses fois) ou le bien fondée de votre amitié.
Le Deadpool profite du silence pour rappliquer, chose que tu aurais du voir venir. Peut-être tu ne t'attendais pas à la violence de certains mots, mais il te ferme le claquet dès la première phrase, laissant échapper un grognement de mécontentement à l'énoncé des insultes qu'il t'affuble. Hypocrite. Connard. Des mots dont tu n'aurais jamais pensé être le sujet. Et pourtant, Wade les utilise avec conviction et maniabilité, piquant juste ce qu'il faut ton ego. Puis, dans une dernière danse, il lâche une information qui te laisse des plus pantois parce que tu ne te serais jamais, même ivre mort, jeté sur quelqu'un pour en attraper ses lèvres, en ôter ses vêtements et en dévorer sa peau. « Tu mens... je n'aurais jam- » Ta voix s'est atténué avec le choc et sort rauque de ta gorge. Tu n'as même pas le temps de te replonger dans les souvenirs que tu gardes de cette soirée pour crier à la fake news. Alors tu restes sur ta fin, envenimé par les paroles confiantes de Wade, même si tu te refuses d'y croire. Ce qui suit n'est pas pas encore mieux, mais la vérité ne peut sortir que de la bouche d'un proche qu'on a fréquenté, ami ou pas. Après tout, il a vécu assez de moment à tes côtés pour connaître tes qualités mais aussi tes pires défauts. Et si ces derniers n'étaient qu'avant très flous à tes yeux, les voilà maintenant complètement mises à nue. En gros, pour résumé, tu es ce qu'on peut appeler un coincé, celui qui se promène avec un balais au cul.
Et voilà que Wade se tire, incapable de faire face à une dispute avec un de ses plus proches amis. Il te laisse dans l'insécurité, l'indécis, le flou. Il te laisse avec de mauvaises pensées en tête, des souvenirs qui ne sont pas tiens, une culpabilité de ce que tu es. Qui sème le vent récolte la tempête, ne dit-on pas ?
Le rouge vient pigmenter peu à peu tes joues et tu restes un moment sur place jusqu'à ce qu'on te pousse un peu et que tu reviennes à la raison. Dans ta tête, tout se bouscule, des images que tu voudrais bannir, des paroles qui te serre le cœur, d'autres qui t'indigne toujours autant. Le coup est rude à surmonter, mais tu n'as pas le choix de bouger pour aller jeter les cafés à la poubelle la plus proche. Tant pis, tu reviendras vers Bobby les mains vides et refuseras de lui parler jusqu'à ce que ton esprit et ton corps soient moins ravagés par ces émotions que tu détestes. Pourquoi faut-il que tu sois aussi faible ? Pourquoi ne peux-tu pas être insensible, inerte comme le métal qui te recouvre parfois ? Il te faut plusieurs minutes avant que tu ne décides de rejoindre Wade dehors, non pas pour l'engueuler cette fois, mais plus pour l'envoyer valser. Il est venu vers toi, il a brisé le silence et la distance, maintenant tu aimerai qu'il te laisse tranquille car tout ceci est beaucoup trop dur à encaisser. Tu n'es pas quelqu'un doué de parole, seuls tes poings et tes doigts parlent en général. Avec Wade, c'était parfait fut un temps, mais aujourd'hui cela ne sert à rien. Tu dois donc faire avec ce que tu as, c'est-à-dire pas grand chose. « Je ne comprends pas ton point de vue, et tu ne comprends pas le mien. » L'idée grandit de plus en plus dans ta tête, à mesure que les critiques du brun reviennent à la surface. « Et je ne veux pas baliser quoique ce soit. » Tu essayes de trouver les bons mots, pour ne pas écouter les sentiments qui te prennent les tripes. « Et l'idée d'avoir commencé tout ça avec toi, ça me... » La honte se disperse comme un virus, ta tête prête à exploser, n'osant pas poser les bons mots sur votre baise d'un soir. « C'est pas moi, ça ne me ressemble pas, et pourtant c'est ce que j'ai fais, et je ne comprends pas pourquoi, ce n'est pas normal. Je ne voulais pas. » Tu déglutis difficilement, incapable d'être plus clair. Pourtant, ça l'est dans ta tête : cette situation dans laquelle vous vous trouvez te gêne au plus haut point. Et quand quelque chose te gêne, te donne envie de te détester, d'être encore plus en colère, tu fuis. « Alors je ne pense pas qu'il y ait grand chose à rajouter. Il vaut mieux que ça s'arrête à là... pour de bon. » C'est-à-dire qu'il vaut mieux que vous ne vous côtoyez plus pendant un bon moment.
Alors Wade, est-ce que toi aussi tu fuis dans la vie ?